En Tunisie, le CNRD – le nouveau Sénat voulu par Kaïs Saïed – prend ses marques

Institué par la Constitution de 2022, le Conseil national des régions et des districts (CNRD), nouvelle chambre haute du Parlement, a enfin vu le jour. Quelles seront ses prérogatives ? Qui sont les nouveaux élus qui y siègent ?

Imed Derbali, président du Conseil national des régions et des districts (CNRD), la nouvelle chambre haute du Parlement tunisien. © DR

Imed Derbali, président du Conseil national des régions et des districts (CNRD), la nouvelle chambre haute du Parlement tunisien. © DR

Publié le 24 avril 2024 Lecture : 4 minutes.

Les 77 élus du Conseil national des régions et des districts (CNRD), qui fait office de seconde chambre du Parlement dans le nouveau système politique tunisien, ont tenu, le 19 avril, leur première séance inaugurale, mais aussi élective. Ils ont désigné, par 49 voix, Imed Derbali, ancien directeur de lycée de Jelma (Centre), président du Conseil, et ont élu ses deux vice-présidents, Youssef Bergaoui, et Zakia Maâroufi.

Parmi les ambitions prioritaires des nouveaux parlementaires : relancer le développement – en particulier les nombreux projets en attente dans leurs régions respectives –, mais aussi « travailler de concert avec le Parlement et l’exécutif », comme l’indique l’un d’entre eux, Haithem Trabelsi.

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En évoquant cette collaboration avec la chambre basse du Parlement, ce dernier se réfère aux articles 84 et 85 de la Constitution de 2022 qui attribuent au CNRD la responsabilité d’entériner la loi de finances et des projets de développement, sans plus de détails. Mais dans cette fonction, il n’aura pas les coudées franches puisqu’il doit opérer de concert avec l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Dernier jalon du nouveau système de gouvernance

Ce point, sur lequel on attendait au moins des précisions, voire un décret définissant clairement les rapports entre les deux cénacles, n’est pas encore clairement établi, alors qu’il est fondamental. Mais le président Kaïs Saïed peut ainsi affirmer qu’il a tenu les délais de mise en œuvre du système de gouvernance qu’il a conçu pour la Tunisie, que parachève justement l’installation du CNRD.

« On a disposé une vitrine démocratique pour un système de concentration des pouvoirs », résume Mahdi Elleuch, chercheur auprès de l’ONG Legal Agenda (LA), qui précise que « si l’Assemblée et la seconde chambre peuvent être en conflit, elles sont hors du circuit du pouvoir qui se joue à Carthage et via ses réseaux ». Finalement, et malgré l’institution d’une chambre haute, le rôle des instances parlementaires est donc nettement réduit par rapport à celui assigné par les précédentes Constitutions.

Certes, le CNRD est supposé gérer le développement au niveau local, ce qui est un vaste chantier. Mais la confusion entoure la façon dont doivent être identifiées les initiatives de développement. Cela doit en théorie être fait par des conseils locaux, mais dans les faits, ceux-ci n’ont aucune indépendance par rapport au pouvoir central, condition nécessaire à une décentralisation qui semblait une nécessité évidente formulée dans les régions.

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Quelles relations entre l’ARP et le CNRD ?

Sans personnalité morale, ces conseils n’ont pas de budget propre et relèvent de la délégation ou du gouvernorat, c’est-à-dire du pouvoir central. Ils n’ont pas non plus les connaissances techniques des représentants de l’administration qui siègent aux conseils locaux et régionaux et qui, de fait, vont orienter le développement selon les directives centrales. « Il est certain qu’un projet central va être décliné au cas par cas pour donner l’impression que la base s’est exprimée, alors que c’est tout l’inverse », assure un ancien député de Gafsa.

Les élus qui siègent au CNRD, quant à eux, ont la plupart une notoriété locale, mais ils ne disposent, dans la majorité des cas, d’aucune compétence particulière. Ce ne sont que des personnes physiques qui semblent avoir toujours eu une ambition politique et qui se trouvent aujourd’hui propulsées au Conseil à la faveur du vide politique et de l’exclusion des partis.

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La mise en place du CNRD laisse donc de nombreuses questions en suspens. Comment cette seconde chambre va-t-elle pouvoir tenir l’objectif de se doter d’un règlement intérieur alors que rien ne fixe et ne répartit ses prérogatives ?

Comment pourront être définis les rapports avec l’ARP, qui a par ailleurs approuvé le décret de création du Conseil ? En attendant que ces points soient éclaircis, comment vont fonctionner ces deux chambres qui désormais coexistent ? Comment seront départagés les avis s’ils différent, notamment sur la loi de finances ?

La seule certitude est que personne n’a de réponse à ces questions. Pourtant, « combler le cadre législatif dans lequel ce conseil devra opérer est nécessaire afin d’avoir l’image complète des différentes institutions législatives et démarrer les grands chantiers des projets régionaux qui auront certainement un impact indéniable sur la croissance économique, pas uniquement régionale mais aussi nationale », insiste Mahdi Elleuch.

La revanche de Mohamed Bouazizi

Ces questions, pour l’heure, ne semblent pas préoccuper les élus, qui estiment disposer d’une légitimité, même si le taux de participation à l’élection du Conseil n’a été que de 11,2 %. Forts de leur statut de représentants élus des régions, ils trouvent leur compte dans une politique qui semble incarner la revanche du 17 décembre 2010, date à laquelle s’était immolé Mohamed Bouazizi et qui avait déclenché les mouvements de protestation qui conduiront à la chute du régime de Ben Ali.

À l’époque, déjà, beaucoup de Tunisiens avaient perçu ces événements comme une récupération par la classe dominante tunisoise d’un mouvement né dans les régions intérieures, véritable berceau de la révolution.

Aujourd’hui encore, ce sentiment a laissé des traces et la tension persiste entre une volonté affichée de donner la parole – et une partie du pouvoir – aux régions, et un système plus centralisé que jamais. Le CNRD permettra-t-il d’inverser cette tendance ? Certains de ses membres semblent y croire, à l’image de cet élu qui, apostrophé lors de la séance inaugurale du 19 avril par un collègue qui lui demandait de s’asseoir, a répondu, goguenard et plein d’assurance : « Tout est à moi maintenant ».

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